Installée à ma petite terrasse avec une tasse de thé, je m'apprêtais à écrire une lettre intime et passionnée. Malgré le bruit des voitures passant incessamment près de moi dans la petite rue qui longe cette terrasse, je me sentais légère comme un oiseau, prête à m'envoler vers le Bien-Aimé d'un coup de stylo-plume. D'un petit pas furtif, une vieille dame vétue d'un long gilet rose très tendre passa derrière moi alors que je prenais la plume. Je ne l'ai entrevue qu'un instant, le temps de touner la tête. Mais cet instant a suffit pour ravager mon coeur. La vieille dame au dos vouté, passant discrètement dans la rue, portant élégamment la couleur la plus rose et la plus tendre qui soit, une couleur de jeune fille, m'a ôté les mots de la bouche . En un instant j'avais rejoint le ciel et son jardin de roses. 

J'ai pris la plume quand même , étonnée qu'elle ne se mette pas à écrire en rose. Je n'ai même pas eu le temps de penser à l'instant présent  qui m'avait comblée de son évidence. Le geste le plus spontané est celui qui ne fait pas l'ombre d'un doute. J'ai écrit comme on dégaine son sabre, mais assez maladroitement . L'instant présent m'avait comblée de son amour, obligée à lui obéïr au doigt et à l'oeil, à n'écouter plus que son murmure, au-delà des bruits de voitures, de l'écriture, et de ce que je voulais en faire.

La lettre n'est plus d'actualité. Je souhaite que Celle à qui Elle était destinée sache lire dans mon coeur et deviner les tendres pensées que j'ai eu pour Elle. La dame en rose était sans doute sa réponse instantanée.

. 

Chistian Bobin exprime si bien les mystères d'éternité offerts par les bouquets de fleurs que je ne peux être insensible au triste koan que m'ont offert les roses de la jeune fleuriste chez qui je dépose depuis peu quelques tableaux en exposition. La fleuriste aime faire des compositions créatives avec des "roses éternelles". Elles sont imbibées d'un produit qui les "statufie" tout en les laissant paraître vivantes. Enfin, ce bouquet que je lui ai acheté ne devait pas particulièrement être ainsi. Ce sont sept roses magnifiques. Elles ne fânent pas ... et je les regarde, angoissée. D'habitude la douleur poignante de voir se flétrir les fleurs coupées m'apparaît comme un mal inévitable, presque regrettable. Maintenant je la vois comme un mal nécessaire...

L'amour, la vie vont avec la mort, qui les révèle.

L'éternel est caché dans notre coeur, inconsolable.

Education du coeur.. comme un enfant, j'apprends..

Ben bende değil ,

Sende de hem sen, hem ben,

Ben hem benimim, hem de senin, sen de benim, 

        Bir öyle garip hale bugün geldim ki 

                           Sen ben misin, bilmiyorum,

                                                     ben mi senim.   

                                                         Hz Mevlânâ  

                                                     ...

   "Moi, ce n'est pas moi, toi aussi tu es soit toi soit moi, moi je suis soit moi, soit toi, toi aussi tu es moi.. Aujourd'hui je suis parvenu à un état si étrange que je ne sais pas si je suis toi, ou si tu es moi..."