
Sevim
"O échanson , offre-nous encore tes coupes
Laisse les autres nous traiter d'ivrognes
Laisse-les s'étonner de notre folie
Laisse-les s'étonner de voir
Que nous ne sommes pas encore assagis"
Halil Negiboglu : voix
Kudsi Ergünner : Ney
Bijanne Chemirami : daf
"Le rythme et la parole"
La certitude d'avoir été , un jour , une fois , aimé -
c'est l'envol définitif du coeur dans la lumière.
C.Bobin
La vieille calligraphe retraçait pour la centième fois une ligne qui n'était pas assez perpendiculaire à son goût quand elle a été violemment foudroyée . Lassé de voir peiner et soupirer sans cesse , Dieu avait choisi ce moment pour la rappeler à Lui . Son dernier souffle fit déraper son crayon qui laissa une traînée bancale .
Esma quitta la terre horrifiée par cette vision , avec le regret de ne pas pouvoir gommer cet ultime trait .
Le soir de sa visite , elle corrigea plusieurs fois un caractère au point de trouer mon feuillet . J'étais si curieuse de connaître la suite , que mes doigts sautèrent sur la déchirure et poursuivirent leur périple . Mes yeux découvrirent ces lignes :
" Les calligraphes ne meurent jamais . Leur âme vagabonde aux frontières du monde habité cherchant à récupérer leurs instruments . Dieu les utilise pour révéler sa parole . Les prophètes la déclament , les calligraphes l'écrivent.
J'aspire au repos éternel mais Il ne me l'a pas accordé . Il ignore que les lettres mal tracées m'assaillent , que les contours imparfaits me torturent et que l'architecture d'une ligne dépend de l'air contenu dans nos poumons . Nous , les morts , n'avons plus de souffle . Tracer les lettres nous procure bien-être et plénitude , l'au-delà ne nous permet pas d'utiliser nos mains .
J'ai quitté la terre sans avoir goûté à la perfection d'une oeuvre infaillible ou d'une composition idéale .
Aide -moi à oublier les hampes et ligatures des lettres qui me tourmentent même dans mon sommeil."
Yasmine Ghata
J'ai découvert l'âme des âmes
qu'on vienne piller cette âme
je me suis détaché des pertes comme du gain
qu'on vienne piller mon bien.
Je me suis détaché de moi-même
j'ai déchiré le voile de mes yeux
et je suis parvenu au sein de l'Ami
qu'on vienne piller mes doutes.
Mon moi s'est détaché de moi-même
l'Ami a pris possession de tous mes biens
tout m'est ami , celui qui donne comme celui qui reçoit
qu'on vienne piller mes vers .
Je me suis désintéressé de tout
et j'ai volé vers l'Ami
je suis tombé devant la cour de l'amour
qu'on vienne piller mon oeuvre.
Las de la dualité
j'ai goûté au festin de l'Unité
j'ai bu le vin de souffrances
qu'on vienne piller mes remèdes.
C'est parce que mon être s'est mis en route
que l'Ami est venu vers nous
le coeur dévasté s'est illuminé
qu'on vienne piller mon univers
J'ai renoncé à tout désir
je suis las de l'été de l'hiver
j'ai rencontré le maître des jardins
qu'on vienne piller le mien
Comme tu dis bien Yunus
tu as mangé sucre et miel
j'ai trouvé le miel des miels
qu'on vienne piller ma ruche.
Yunus Emre
Je marche et me consume
l'amour m'a peint de sang
je ne suis ni fou ni sain
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Parfois je souffle comme le vent
parfois je poudroie comme les chemins
parfois je coule comme le torrent
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Je mugis comme les eaux qui roulent
je meurtris mon coeur en peine
je pleure en évoquant mon Guide
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Prends ma main et enlève-moi
ou fais-moi entrer en Ton sein
tu m'as trop fait pleurer , réjouis-moi
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Je vais de pays en pays
J'invoque mon Guide en toutes les langues
qui me comprend en pays étranger?
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Que je sois Medjnun et que je marche
je Le vois en rêve cet Aimé
je m'éveille et m'attriste
viens vois ce que l'amour a fait de moi.
Je suis le pitoyable Yunus
de la tête aux pieds je ne suis que plaie
et je suis loin du pays de l'Ami
viens vois ce que l'Amour a fait de moi.
Yunus* Emre
* prononcer " younous"
"Quand tu cherches Dieu, cherche-le dans ton coeur. Il n'est pas à Jérusalem, ni à la Mecque, ni dans le hajj"
Yunus Emre *
* La tradition veut qu'au 13ème siècle, dans un couvent situé au coeur de l'Anatolie, un modeste derviche appelé Yunus, soi-disant bûcheron et illettré, s'occupait à de rudes besognes tout en s'initiant aux premiers rudiments de la doctrine soufie. Bientôt, sous l'effet de l'inspiration mystique, quasi miraculeusement, il se mit à composer des poèmes sublimes, dans lesquels il clamait son amour pour Dieu et son désir d'union avec celui qu'il nommait l'Ami. Sa poésie, vive, imagée, aux accents brûlants, dans une langue turque authentique et dépouillée des formules ampoulées de l'ottoman classique, alla droit au coeur du peuple, qui fit sien ce poète et tout au long des siècles ne se lassa pas d'en répéter les vers.
Telle est l'image qu'a forgée la légende populaire de ce personnage qui est vénéré comme un saint par le peuple et considéré par les érudits et connaisseurs comme l'un des plus grands poètes du monde turc.
source : "l'islam turc en citations "
http://www.bleublancturc.com/Franco-Turcs/Islam/Citations_Islamturc.htm